Nous sommes seuls dans notre mouillage. Au matin, la marée desendante a découvert la petite plage rocheuse qui ferme la baie. J’émerge pour préparer le petit-déjeuner, et machinalement, j’exploire les alentours d’un oeil embrumé. Juste là, un ours ! Nelly, viens vite, fais doucement ! Pour notre nouveau voisin, c’est aussi l’heure du casse-croute, et il a entrepris de retourner tous les rochers de la plage pour attraper les crabes et crustacés cachés dessous.
Notre petit déjeuner attendra. Pour le moment, nous sortons les appareils photos et les jumelles, et nous l’observons sans nous lasser. Longtemps après, il a fini par disparaître dans la forêt.
Pourtant, au moment de partir, dans le bruit de nos préparatifs, du lancement du moteur, de la remontée de la chaîne d’ancre, j’ai vu qu’il était revenu. Encore un petit creux sans doute ? Il est certain qu’il nous a entendus. Mais il est chez lui, nous ne sommes que des invités de passage, sans intérêt et sans risque. Tant mieux !
Nous sommes partis sur la pointe des pieds.
PS – Deux jours plus tard, une autre île, un autre mouillage. A l’heure du dîner cette fois, j’aperçois tout à coup, en lisière de forêt, 2 formes rondes et noires : une ourse et son petit. Elle retourne consciencieusement de gros blocs de rochers, et petit ours en fait autant, avec de petits blocs de rochers. Notre dîner refroidit, mais tant pis !
Et je me demande : font-ils des gestes naturels, ou bien un ancêtre lointain a-t-il découvert ce retournement de cailloux et l’a-t-il enseigné à à son entourage ? Est-ce qu’ils sortent de la forêt à l’heure des repas, ou bien se sont-ils adaptés à l’horaire des marées, pour ne sortir que quand les rochers sont à découvert ?
Font-ils même comme à Dinard et Saint-Malo, des sorties en famille quatre fois par an, à l’heure des grandes marées, les pieds dans l’eau, à la recherche de rochers fabuleux qui pourraient révéler des troupes de crabes énormes, des champs d’étoiles de mer, et des colonies de croustillants coquillages ?