Kwakwaka’wakw

Escale à Alert Bay Village, 1500 habitants tout au plus, dont la moitié environ fait partie des Kwakwaka’wakw, une des tribus indiennes du Nord-Ouest canadien. La ville affiche ses origines “Premières Nations”, avec son centre culturel U’mista, connu dans toute la région – photos interdites, dommage – qui célèbre cet héritage. Nous cherchons à en savoir plus…

Ce totem, posé près d’une maison modeste, évoque le passé et l’origine d’une famille, et les animaux mythiques racontés par les ancêtres, de génération en génération. Pourtant, il n’a été terminé que l’an dernier, et c’est pourquoi il est si rutilant. Pendant que nous l’admirons, de la maison sort une dame toute contente, qui nous raconte que le modèle provient d’une vieille photo en noir et blanc restée dans la famille, et elle va chercher la photo pour nous la montrer. Les couleurs ont été réinventées, et elle a nourri une équipe de scultpeurs pendant quelques semaines, en échange de leur travail.

Pourtant, ils ne semblent pas très nombreux, ces descendants des Premières Nations. D’ailleurs, le recencement de 2016 en a compté 3665 au total. Il faut dire qu’ils ont eu la vie rude. Les colons se sont installés chez eux sans leur demander leur avis. Les maladies qu’ils leur ont transmises en ont éliminé 80 ou 90%, bien commodément. On a interdit leurs cérémonies coûtumières, confisqué les masques et les ornements – c’est la restitution de la plupart de ces objets précieux qui a permis la création du centre U’mista. Dans une union sacrée entre les Eglises et l’Etat, on les a séparés de force de leurs enfants pour les enfermer dans des pensionnats, le plus souvent chrétiens, dans des conditions épouvantables. Il faut leur rendre cette justice : les Indiens du Canada ont été l’objet de mesures qui s’apparentent à un génocide. La Commission Vérité et Réconciliation a d’ailleurs conclu que le Canada, de fait, a mené une politique volontaire de génocide culturel, physique et biologique envers les peuples indigènes.

Les nouveaux occupants du territoire, eux, ont prospéré tout au long du 19ème siècle, et jusque dans les années 1970. A cette époque, plus de 1000 bâteaux de pêche étaient enregistrés dans le port. Le bois et les mines employaient dans la région des milliers de personnes, qui venaient faire leurs courses, et la fête, à Alert Bay Village. La ville comptait un Chinatown, 2 chantiers navals, 2 théâtres, et 4 églises. Je n’ai pas le chiffre des bars, mais le week-end, un mini bus faisait un circuit en boucle pour permettre aux amateurs d’en faire la tournée.

C’est pourtant la tradition indienne qui s’affiche le plus visiblement ici. De nombreux totems parsèment la ville, le cimetière traditionnel réservé aux Premières Nations donne sur la rue principale, et la “maison commune” qui accueille les cérémonies traditionnelles occupe un grand bâtiment qui leur est dédié.


Au contraire, du souvenir du boom du siècle dernier et de ses conquérants, il ne reste que des ombres : une petite ville plutôt endormie autour de son terminal de ferry et de son “general store”. Dans le port, bien calme aujourd’hui, quelques pêcheurs vont et viennent, et quelques “yachts” de touristes comme nous cherchent une place pour la nuit.

Tout autour, des difficultés pires sont visibles. Le port est rempli de bâteaux ventouses en perdition. Le long de la rue principale, des bâtiments du bord de l’eau menacent ruine. Des pontons devenus inutiles ne mènent plus nulle part.

Un couple de retraités locaux, passionnés par leur île, nous font part de leur diagnostic : les gouvernements successifs ont géré à courte vue, et principalement au bénéfice des grandes entreprises. La surpêche, la gestion désastreuse de la ressource, et maintenant la pollution des eaux par l’aquaculture, a ruiné l’économie locale. Les compagnies forestières, auxquelles on n’a rien demandé en échange du pillage des forêts, ont laissé traîner partout leurs débris, en particulier dans les rivières à saumon, et contribué à la crise écologique. Aujourd’hui, il n’y a pas de dialogue avec les autorités, il n’y a plus de travail pour les jeunes, qui vont aller chercher une vie ailleurs. Sous l’apparence d’une petite communauté paisible qui a su s’accomoder au monde, pointent des sentiments de passé mal digéré, d’impuissance, de découragement.

Quel avenir pour ces petites communautés ? Je me rappelle une navigation sur la Saône, de petite ville éteinte en petite ville en perdition, où la moitié des boutiques de centre ville étaient à louer – sans espoir – et où la population était composée, essentiellement, de retraités et de familles en surpoids. Au détour de nos vacances nautiques, Christophe Guilly et son analyse de la France périphérique nous sautaient aux yeux.

Nous en trouvons un écho aujourd’hui, mais ici, la ruine des ressources naturelles et la menace du changement climatique ajoutent une incertitude supplémentaire à l’avenir. Albert Bay Village, rendez-vous dans 10 ans ?

 

PS
Je voudrais éviter de paraître donner des leçons, du haut de ma supériorité. J’ai donc le regret de souligner ma propre complicité, et tout à fait actuelle, dans ces exactions, en tant que citoyen de l’Union européenne.
En effet, L’UE vient de signer un accord global avec le Mercosur. Interrogé à ce sujet par le journal Le Monde, Nicolas Hulot a souligné les “… exactions multiples et répétées contre les Indiens d’Amazonie puisqu’on laisse les nervis des forestiers, des miniers et des pétroliers agir sans aucune protection sur les Indiens eux-mêmes et sur leurs  droits. Cela parachève une forme de génocide au fil de l’histoire des Indiens.”.
Si ça continue, il va falloir changer le sous-titre de ce blog de “A Pacific Northwest Boating Adventure” en “Derniers sursauts politico-sentimentaux de vieux écolos en fin de course”.

A bientôt pour de nouvelles… aventures !

Comments are closed.