Agence de voyages

Nous avions prévu des invités à bord. Nous avons calculé leur voyage et leur arrivée longtemps à l’avance. Nous avons beaucoup discuté, entre nous, pour imaginer ce qui leur plairait. Nous avons organisé un circuit et des escales pour que leur séjour à bord leur soit mémorable. Mais, à l’expérience, il faut bien le reconnaître : nous sommes de médiocres organisateurs de croisières.

D’abord, nous n’offrons qu’un confort sommaire. Par exemple, la cuisine est petite, avec des rangements minimum. Pour les passionnés de cuisine, ce n’est pas l’idéal, même si le barbecue nous sauve un peu. De même, le réfrigérateur n’est pas énorme, il met du beaucoup de temps à fabriquer des glaçons, et de toute façon nous chronométrons le temps que la porte reste ouverte, parce que porte ouverte = perte de froid = grosse consommation électrique pour redescendre la température et empêcher le lait de tourner.

C’est que nos batteries se rechargent ‫principalement quand nous sommes branchés au quai dans une marina, ou quand nous avançons au moteur. Mais quand nous sommes au mouillage sans bouger, il n’y a que nos braves panneaux solaires pour nous apporter de l’énergie extérieure, et encore faut-il qu’il y ait du soleil. Donc la consommation électrique est une préoccupation constante. Pour nos invités modernes, quand les hôtes comptent les Ampères-heures dès qu’on tourne un bouton, ou les heures d’utilisation de l’inverseur pour alimenter les PC, ça ne crée pas une atmosphère décontractée

De plus, notre idéal de distraction n’est pas très folichon :nous aimons le plus souvent passer la nuit dans un mouillage, de préférence aux marinas. Les mouillages sont peu ou prou gratuits. Bien choisis, ils offrent le spectacle de la nature, et parfois de belles promenades à terre, moyennant une courte expédition en dinghy. Ils nous permettent aussi de rattraper un retard de maintenance du bateau, ou de commencer un nouveau livre. Mais pour les habitués de la ville, de surcroît beaucoup plus jeunes, ce sont les escales en ville qui séduisent, et c’est vrai qu’une bière dans un joli bar inconnu avec une bonne musique a de quoi plaire, par rapport à la même bière sur les bancs (dûrs) du flybridge.

Le décalage est maximum quand nos invités n’ont pas l’habitude de la vie en bateau : ils trouvent que nous passons trop de temps à surveiller la météo, alors que, jour après jour, ils ne connaissent que le beau temps. Et pourquoi plonger dans la câle moteur tous les matins, alors que nous n’ouvrons quasiment jamais le capot de notre voiture ? Faut-il porter un gilet de sauvetage dès qu’on est en route, alors qu’on est près de la côte, et par grand beau temps et calme plat ? Inévitablement, nous finissons par passer pour des petits vieux stressés, qui ne pensent qu’aux catastrophes qui n’arriveront pas. Enervant, finalement…

Enfin, nous avons sous-estimé les difficultés de planning et de transport. Les disponibilités de nos invités, les points de rencontre possibles, l’organisation pour les déposer sans faute au bon endroit en fin de séjour, avec une météo aléatoire, sont autant de contraintes supplémentaires à notre projet de navigation. Elles finissent par peser sur notre calendrier, notre parcours, notre liberté. Et encore, cette année, c’était relativement facile. L’année prochaine, avec Desolation Sound et l’archipel des Broughton au programme, ce sera autrement plus compliqué.

Au fond, nous avons le sentiment de ne pas avoir réussi à offrir à nos invités un séjour à bord agréable et serein. Sans doute ne sommes-nous pas assez disponibles, trop repliés sur la vie que nous avons choisie à deux ? Trop vieux, tout bêtement, ce qui ne va pas s’arranger. Aussi devons-nous réfléchir à poursuivre nos plans de navigation plus simplement, de notre côté. Nous pourrons toujours aller voir nos invités à terre, sur leur territoire. Nous essaierons d’être des invités parfaits. Nous leur raconterons nos aventures, et nous partagerons les leurs. Nous profiterons à fond du confort de leur vie et des plaisirs de leur ville. Et nous renoncerons à jouer les organisateurs de croisières – ce sera notre deuxième retraite !

Comments are closed.